AMC Entertainment : l’heure du big short ?

4 juillet, 2021

Cette année, l’actualité boursière est animée par l’inflation (on en parle beaucoup sur le blog) mais aussi par les mème stocks : GameStop, Nokia, BlackBerry, et bien sûr AMC Entertainment. Ces entreprises ont pour caractéristique d’être des entreprises en difficultés et par conséquente, vendues à découvert par les hedge funds.

Mais grâce à la puissance des réseaux sociaux et notamment du rebbit WallStreetBets, ces anges déchus reprennent vie en bourse. Des milliers d’investisseurs particuliers ont acheté ces actions, allant jusqu’à faire vaciller quelques hedge funds.

Cours d’AMC (YTD)

Aujourd’hui, je m’intéresse au cas d’AMC dont le cours progresse de 2.500% depuis le premier janvier 2021 ! Et comme vous pouvez le voir, le cours a explosé fin janvier (en même temps que GameStop) puis fin mai. Mais depuis quelques jours, mon esprit de spéculateur se demande s’il n’y a pas moyen de profiter de ce mouvement ultra-spéculatif ? Alors faisons le point.

AMC, une année folle ?!

AMC Entertainment est une entreprise américaine, spécialisée dans l’exploitation de salles de cinéma. La société exploite un millier de cinémas, principalement aux États-Unis, et emploie environ 30.000 personnes.

En 2012, le conglomérat chinois Wanda Group rachète AMC Entertainment pour 2,6 milliards de dollars. Suite à ce rachat, Wanda va entreprendre de grand travaux pour développer l’activité d’AMC : modernisation des cinémas, acquisitions de concurrents, etc. Ces investissements vont être financés majoritairement par de la dette. En comme on peut le constater, la dette long terme va doubler entre 2017 et 2019 !

Extraits des comptes d’AMC

Ces investissements permettent de faire croître le chiffre d’affaires d’AMC. Mais la marge opérationnelle s’érode année après année.

En effet, l’activité d’AMC est en train de vivre une petite révolution avec la généralisation des services de streaming. Netflix, Amazon Prime Video et Disney+ viennent modifier profondément les habitudes de distribution et de consommation. Je vous conseille de regarder cette vidéo de MarketingMania qui explique brillamment pourquoi les grands studios ont tout intérêt à évincer les cinémas de leur chaîne de valeur.

Comme vous pouvez vous en douter, le Covid n’a pas arrangé les choses. Les confinements successifs ont mis un coup d’arrêt à l’activité d’AMC. En 2020, le chiffre d’affaires a été divisé par 5 et l’entreprise a publié une perte record de 4,5 milliards de dollars.

Face à son endettement abyssal et la chute de son chiffre d’affaires, la société est passée très proche de la faillite. Jusqu’à ce que les spéculateurs fassent exploser son cours, lui permettant de lever de l’argent frais. En juin dernier, la société a levé 820 millions de dollars grâce à 2 augmentations de capital.

La valorisation délirante d’AMC

Donc si je résume la situation, AMC évolue dans un secteur attaqué par les géants du numérique et du contenu. Son chiffre d’affaires (environ 5 milliards) stagne malgré l’importance de ses investissements et les marges diminuent. L’entreprise accumule près de 10 milliards de dette alors que son cash flow opérationnel (avant la crise) est de seulement 500 millions. Et malgré tout cela, l’entreprise est valorisée 26 milliards de dollars en ce moment.

Capitalisation boursière d’AMC

Ce chiffre peut paraître complètement dingue (et il l’est !). Mais avant de tirer des conclusions trop hâtives, faisons quelques comparaisons avec les concurrents d’AMC.

AMCCineplexCineMarkMarcus Corp.Gaumont
Revenus
CA* 5.47   1.67   3.28   0.82   0.21  
Ebit* 0.24   0.15   0.41   0.07  -0.04  
Res. net*-0.15   0.03   0.19   0.04  -0.04  
FCF* 0.06   0.17   0.26   0.08  -0.02  
Bilan
Capitalisation 26.00   0.96   2.59   0.64   0.34  
Dettes** 10.24   1.89   3.43   0.57   0.00  
VE 36.24   2.85   6.02   1.21   0.35  
Equity**-2.29  -0.07   0.52   0.54   0.22  
Ratios
P/B-11.35  -13.76   4.98   1.19   1.57  
P/S 4.75   0.58   0.79   0.78   1.63  
EV/S 6.63   1.71   1.84   1.48   1.65  
EV/Ebit 151.00   19.02   14.68   17.29  -9.38  
P/FCF 433.33   5.66   9.96   8.00  -19.06  
PER N/A  32.10   13.63   16.00   N/A 

Source: MorningStar, en milliards de $ / * : données 2019 (pré-covid) / ** : données Q1 2021

Comme on peut le voir, AMC se paie 6 fois son chiffre d’affaires pré-covid alors que ses concurrents se paient en moyenne 1,5 fois leur CA. Même chose pour l’Ebit ou le Free Cash Flow, qui sont anémiques par rapport à la valorisation d’AMC.

Bref, la valorisation d’AMC est totalement dingue ! D’ailleurs début juin, quand le cours d’AMC a explosé à la hausse, plusieurs dirigeants d’AMC ont vendu une partie de leurs actions. Et forcément on voudrait également en profiter. Mais comme nous le rappelle Keynes :

Les marchés peuvent rester irrationnels plus longtemps que vous ne pouvez rester solvable.

Alors si on souhaite se mettre en face de l’argent bête, il faut trouver un bon point d’entrée.

Le marché option se retourne

La spéculation autour d’AMC a notamment été portée par la spéculation sur options. Les apprentis spéculateurs ont acheté massivement des calls, profitant ainsi de l’effet de levier associé. Si vous n’êtes pas familier de ce marché, je vous conseille de lire cet article sur l’impact des options.

Mais aujourd’hui, le marché des options semblent se retourner. Comme je l’ai dit plus haut, la hausse du cours d’AMC a été portée par l’achat d’options call, provoquant un gamma squeeze. De manière très simple, plus le cours d’AMC grimpait et plus les market makeurs devaient acheter des actions d’AMC pour couvrir leurs ventes de calls. Mais depuis quelques jours, l’exposition gamma (GEX) est passée en territoire négatif.

De plus, quand on consulte le Skew de volatilité d’AMC, on peut constater que la volatilité implicite des puts est plus élevée que la volatilité implicite des calls. Ce qui est la conséquence d’une hausse de la demande de put, pour se protéger (ou parier) contre la baisse d’AMC.

Par ailleurs, la volatilité implicite (globale) d’AMC, qui avait accompagné le krach haussier, tend à diminuer ces derniers jours. SpotGamma monitore notamment le niveau de volatilité implicite des call avec un delta 0,25.

En janvier dernier, la baisse de cette volatilité a été suivie par une longue phase de range de l’action. La baisse de la volatilité implicite rend également l’achat de put plus attractif pour les spéculateurs souhaitant parier sur la baisse du cours.

Un momentum qui s’essouffle

Autre signe de retournement, l’analyse technique semble montrer une essoufflement de la tendance haussière. Le cours d’AMC oscille autour de 40 et 60$ depuis le début du mois de juin. Par conséquent, les spéculateurs qui achètent des calls paient des primes importantes (compte tenu de la volatilité) sans réaliser le moindre gain.

Graphique d’AMC

Par ailleurs, les volumes de transaction diminuent drastiquement. Et pour cause, la promotion d’AMC sur les réseaux sociaux a quasiment disparu. Les spéculateurs cherchent plutôt qui sera le nouvel AMC. ZackMorris, figure des traders de meme stocks (500k followers sur twitter), fait actuellement la promotion de Wish.

Bref, la hype autour d’AMC semble disparaître petit à petit. Entrer aujourd’hui sur AMC revient à payer le sommet de la bulle, avant qu’elle n’éclate.

Un été en short ?

Alors si on résume la situation en quatre points :

  • AMC connait des difficultés opérationnelles, aggravées par la crise du Covid
  • Sa valorisation est totalement déconnectée de ses fondamentaux et de ses concurrents
  • Le marché des options se retourne à la baisse
  • Le phénomène de hype entourant AMC semble se déporter vers d’autres meme stocks

Dans ces conditions, j’ai ouvert ce vendredi une position vendeuse sur AMC, via les options. Première possibilité, acheter un put mais j’estime qu’ils sont beaucoup trop chers. Alors qu’AMC cote 52$, acheter un put 40$ (échéance 20 août 2021) me coûterait 6.35$ ! À l’échéance, il faut qu’AMC cote sous les 33,65$ pour que je commence à gagner de l’argent.

L’idée est de parier sur la baisse du cours avec une marge de sécurité (short delta), parier sur une baisse de la volatilité (short vega), tout en ayant le temps avec moi (long theta). Après avoir testé de nombreuses combinaisons d’options, je me suis résigné à vendre un call nu.

Cette stratégie est très risquée puisque le gain est limité et la perte illimitée. Face à cette perte potentiellement illimitée, j’ai fait le choix de prendre une petite position et une grande marge de sécurité. En effet, j’ai vendu un call sur l’échéance du 20 août 2021 sur le strike de 100$ pour une prime de 4,25$. Pour que je sois perdant, il faudrait que le cours d’AMC double d’ici l’échéance, soit une valorisation absurde de 50 milliards de dollars.

Bien évidemment, cet article n’est pas un conseil d’investissement, il s’agit plutôt d’une retranscription de mon processus de trading sur AMC. Face aux risques de la position, j’ai pris le trade en sous levier et avec -je le pense- une marge de sécurité suffisante. Il y a probablement mieux à faire, mais je ne souhaite pas me mettre en risque.

Publier un commentaire

Votre adresse email ne sera pas publiée. Champs obligatoire mentionné par un *

  1. Merci pour l'analyse Alexandre, je reste à l'écart de tout ce qui ressemble de prés ou de loin à un WSB / meme stock, ils vont tous crasher en même temps lors de la prochaine correction qui ne saurait tarder. Idem pour les meme coins type Doge, Shiba et autres bêtes velues, ceux qui manipule ces actifs sont largement en benef et ont placé leurs stops et attendent la prochaine vague de pigeons.

    1. Hello steph,

      Effectivement, il n’est pas facile de se mettre en face de la dumb money en ce moment.
      Mais sur AMC, je pense vraiment qu’on a atteint le sommet. Si la volatilité implicite n’était pas aussi élevée, j’aurais acheté un put pour parier sur un retour de l’action en dessous de 10/15$ d’ici 12 à 18 mois.

      Alexandre

    1. Bonjour Grouchy,

      J’estime avoir une marge de sécurité suffisante avec mon strike à 100$ (et mon analyse des fondamentaux).
      Cependant, on n’est jamais à l’abri d’une catastrophe. En cas d’assignation :

      • Soit le cours est inférieur à mon seuil maximum, et je vends des puts
      • Soit le cours est supérieur à mon seuil, et je prends ma perte

      Alexandre

{"email":"Email address invalid","url":"Website address invalid","required":"Required field missing"}