Les 4 erreurs de Jérome Kerviel en bourse (que vous faites surement)

5 février, 2020

Jérome Kerviel est le trader le plus connu de France, et probablement de la planète. En effet, l’opérateur de marché français enregistre à son palmarès l’une des plus grosses pertes de trading de l’histoire du capitalisme.

En 2008, le trader de la Société Générale a perdu en quelques jours plus de 6,4 milliards d’euros sur les marchés à terme. Si on retranche les gains dissimulés en 2007 de 1,5 milliard d’euros, la perte nette pour son employeur est de 4,9 milliards.

La Société Générale a tiré des conséquences de cet événement qui a faillit couler l’entreprise. Mais en tant qu’investisseur particulier, nous pouvons également tirer des conclusions de l’affaire Kerviel.

En effet, Jérome Kerviel a commis 4 erreurs fréquentes en bourse, qui ont conduit à cette perte de 4,9 milliards d’euros. Et je suis sûr que vous faites (ou avez fait) au moins l’une de ces erreurs fatales pour votre portefeuille boursier.

La finance de marché est un monde de requins qui ne tolère pas l’à peu près. Malgré des erreurs flagrantes, vous pouvez passer entre les goutes mais tôt ou tard, vous serez rattrapez par la dure loi des marchés, comme Kerviel l’a été.

Qui est Jérome Kerviel ?

Après des études de finance, Jérome Kerviel intègre les effectifs de la Société Générale en 2000. Mais le jeune loup n’est pas embauché pour devenir un trader (au Front Office), il est embauché comme chargé de Middle Office.

Dans les faits, son job consiste à gérer la partie administrative des opérations de trading. C’est-à-dire saisir les transactions, vérifier les règlements/livraisons, réaliser des contrôles de cohérences, etc. Pas très glamour mais ça lui permet de mettre un pied dans les marchés financiers.

Cependant la qualité du travail de Jérome Kerviel est rapidement repérée par des traders, qui lui proposeront de devenir assistant trader en 2002. Assistant trader est un poste relativement ingrat puisqu’il est en charge de booker les deals dans les applications, faire les analyses de risque, etc. Bref tout ce que les traders ne souhaitent pas faire.

Ce n’est qu’en 2005, que le jeune homme va atteindre le graal en rejoignant la prestigieuse salle des marchés de la Société Générale.

En tant que trader, Jérome Kerviel intègre le desk (bureau) Delta One. Son travail de trader consiste à animer le marché sur un périmètre de Turbo Warrant. Les turbo warrants sont des options call/put avec une barrière désactivante.

En tant que market maker (teneur de marché en français), le rôle de Kerviel est d’assurer la liquidité des turbo warrants, en proposant constamment des prix à l’achat et à la vente. Mais ses prises de positions sont toujours couvertes via d’autres produits dérivés (options, futures, etc.).

Jérôme Kerviel gagne de l’argent grâce au bid-ask spread, c’est-à-dire la fourchette prix proposé.

Cependant pour gagner plus d’argent, Jérôme Kerviel va se mettre à spéculer, en prenant des positions directionnelles. Le trader va donc parier sur la hausse ou la baisse d’un actif, sans prendre de couverture. Ces opérations sont appelées des Spiels (jeu en allemand).

Erreur n°1 : Ne pas respecter son plan de trading

Les Spiels sont autorisés au sein de la Société Générale. Cependant ces opérations spéculatives sont très encadrées (du moins en théorie). Chaque trader à une limite d’exposition et ne peut pas conserver de position overnight. Toutes les opérations doivent être débouclées (soldées) à la fin de la journée.

Cependant Jérôme Kerviel va enfreindre cette règle essentielle dès ses premiers spiels. Dans son livre, il explique prendre une grosse position (15 millions d’euros) à la vente sur l’assureur allemand Allianz en 2005.

Mais la position part dans le mauvais sens et plutôt que de déboucler sa position en perte, il va attendre qu’elle revienne dans son sens. Les jours passent, augmentant les pertes latentes de la position. Le trader masque sa position (et donc sa perte) dans le système d’information.

Jusqu’à ce qu’un événement aussi tragique qu’imprévisible se produise : les attentats dans le métro de Londres. Les marchés se retournent et la position de Kerviel devient gagnante de 500 000€, soit un profit de seulement 3%…

À retenir :

Avant d’investir sur les marchés financiers, vous devez définir votre profil d’investisseur et par conséquent les règles à appliquer. Êtes vous un scalper, day trader, swing trader ou investisseur à très long terme ? Quels sont les critères qui vous ont fait prendre position ?

Combien de sclaps sont devenus des day trades puis des swing trades ? Quand vous prenez position sur les marchés, vous jouez un scénario. Par exemple, j’achète cette action parce que les résultats vont être bons et ça va monter.

Si les fondamentaux de l’entreprise se dégradent, votre scénario est devenu caduc. Vous devez alors couper votre position pour respecter votre plan initial et ne pas tomber dans le mode espoir.

Erreur n°2 : Ne pas utiliser de stop loss

Dans son livre L’engrenage : mémoires d’un trader, Jérome Kerviel mentionne qu’il n’a jamais débouclé une position en perte. En trois ans de trading, ses opérations spéculatives ont un taux de réussite de 100% !

Comment est-ce possible ? Et bien pour avoir un tel taux de réussite, Jérôme Kerviel tradait sans stop loss. Le trader conservait ses positions coute que coute et, attendait que le marché se retourne et lui donne raison.

Pour ne pas que ses positions perdantes apparaissent dans le compte de résultat, Kerviel saisissait des fausses opérations en sens inverse. Par exemple, s’il avait acheté des futures Dax à 8000 points, il bookait une fausse vente du Dax à 8000 points.

L’étude du P&L (compte de résultat) 2007 montre qu’avant de réaliser un profit de 1,5 milliard d’euros, le trader était passé par une moins value latente de 2 milliards !

Étude du P&L (profit and loss) de Kerviel en 2007

À retenir :

Le stop-loss (notamment lorsqu’il est garanti) est votre ceinture de sécurité. La majeure partie du temps, elle ne vous sert à rien mais en cas d’accident, elle peut vous sauver la vie. C’est exactement la même chose avec votre compte de trading.

Avant même de prendre une position à l’achat ou à la vente, vous devez définir votre stop loss en calculant la perte maximale théorique.

Il existe de nombreuses manières de le définir. Les analyses techniques vont placer leur stop loss sous un support (ou au dessus d’une résistance). Les analyses fondamentaux vont plutôt définir des critères de performance économique.

Peu importe comment vous le définissez, l’important est de respecter ce stop-loss. En effet de nombreux investisseurs définissent un niveau stop mais au moment où le cours s’en approche, ils le modifient pour éviter de matérialiser leur perte.

Erreur n°3 : Moyenner ses positions

En mars 2007, le trader pense que la crise des subprimes va impacter les marchés financiers. Il initie une position short (vente à découvert) sur le Dax 30 et l’Euro Stoxx 50 à partir du 15 mars 2007. Le débouclage de cette position en aout 2007 fera gagner au trader 500 millions d’euros.

Cependant quand on regarde le graphique du Dax 30, on constate que l’indice allemand à beaucoup grimpé sur la période. De plus, le rachat de son short à l’été 2007 a été réalisé à un cours supérieur à ses premières ventes à découvert.

Dax 30 en 2007

Pour déboucler sa position en gain, Jérôme Kerviel a donc dû moyenner sa position pour augmenter son PRU (prix de revient unique). En d’autres mots, plus les indices montaient et plus Kerviel augmentait ses positions vendeuses.

Le trade s’est finalement bien terminé pour Kerviel mais un jour où l’autre, cette stratégie de moyennage lui coutera très cher…

À retenir :

Moyenner une position perdante et probablement l’une des erreurs les plus courantes. Si votre position initiale est perdante, cela signifie que vous êtes à contre tendance.

Cela revient à nager à contre courant, vous allez finir par vous épuiser. Il est donc inutile de multiplier vos efforts, au risque de périr noyé. Le plus sage serait de faire demi tour et de laisser le courant vous emporter jusqu’à la rive la plus proche.

Cette stratégie de moyennage du PRU peut marcher 9 fois sur 10, avec de très bons résultats finaux. Mais l’unique fois où votre moyennage ne fonctionnera pas, vous risquez de prendre l’intégralité de votre capital.

Warren Buffett a d’ailleurs commis cette erreur en investissant dans Berkshire Hathaway, qui n’était qu’une compagnie textile à l’époque. Alors que les fondamentaux de la société (et de tout le secteur) ne cessaient de se dégrader, Buffett continuait ses achats.

Ce fut probablement le pire investissement de Warren Buffett, il a d’ailleurs tiré la conclusion que

Si jamais vous vous retrouvez dans un bateau qui coule, l’énergie pour changer de bateau est plus productive que l’énergie pour colmater les trous.

Warren Buffett

Erreur n°4 : Investir avec un très gros effet de levier

Lors de ces opérations de spéculation, Jérôme Kerviel a pris des positions gigantesques sur les marchés réglementés à terme. A tel point qu’il aura une exposition acheteuse de plus de 50 milliards d’euros début 2008 sur le Dax 30 et l’Euro Stoxx 50.

En comparaison, les fonds propres de la Société Générale ne valaient « que » 30 milliards d’euros. Avec son unique position, Jérôme Kerviel est en levier 1,6 ! Cela peut paraître faible mais il ne faut pas oublier que la Société Générale à d’autres traders et d’autres activités (banque de détail notamment).

De plus, la banque se couvre via des dérivés pour gérer le risque de taux, de change, etc. Mais la position de Kerviel est prise sans aucune couverture. Une baisse du Dax 30 de seulement 5% représente une perte de 2,5 milliards d’euros, soit 8% des fonds propres de la banque.

Le vendredi 18 janvier, juste avant sa mise à pied, Jérôme Kerviel estime que sa position affiche une perte de 1,5 milliard d’euros (soit son gain de 2007). Les jours suivants, la Société Générale va déboucler (vendre) la position de trader mais les marchés vont décrocher de plus de 10% en seulement quelques jours.

Avec une position initiale de 50 milliards d’euros, on estime rapidement que la perte théorique ait pu s’approcher des 5 milliards d’euros. Cet effet de levier s’est donc transformé en véritable coup de massue pour la banque, qui a perdu plus de 16% de ses fonds propres en quelques jours.

À retenir :

L’effet de levier est une arme redoutable pour améliorer le rendement de votre portefeuille. Mais cette arme peut se retourner contre vous, notamment en cas d’excès.

Le levier se calcule très simplement puisqu’il s’agit du rapport entre vos positions et votre capital. Si j’achète 10 000€ d’actions LVMH alors que mon capital est de 5 000€, alors mon levier sera de 2 (10 000/5 000). Pour les produits dérivés (CFD, futures, options, etc.), il convient de prendre en compte la quotité.

Mais si vous débutez en bourse, vous ne devriez pas utiliser d’effet de levier (ou de manière très modérée, c’est-à-dire <2). Sur votre PEA, l’effet de levier est relativement limité puisque seuls quelques ETFs comme le LQQ permettent de prendre un levier 2.

Sur compte titres ordinaire (CTO), le service de règlement différé permet de monter à un levier de 5.

Ces 4 erreurs auraient pu conduire à la pire faillite de l’histoire

La position acheteuse de Jérôme Kerviel est découverte et débouclée fin janvier, comptabilisant une perte de 4,9 milliards d’euros. Mais que serait-il advenu de la Société Générale si le fraude du trader n’avait pas été découverte ?

La vente de la position de Kerviel a été réalisée juste avant que le krach boursier de 2008. Si le trader avait maintenu sa position, la perte maximale aurait avoisiné les 25 milliards d’euros. Soit la quasi-totalité des fonds propres de la Société Générale.

Krach de 2008 sur le Dax 30

Si les agissements de Kerviel n’avaient pas été découverts, la Société Générale n’existerait plus aujourd’hui. Et si vous faites les mêmes erreurs, votre compte titres risque également d’exploser en plein vol.

Ne faites pas comme Kerviel

Quand vous investissez en bourse, il est primordial de respecter ces quelques règles :

  • Définissez votre stratégie d’investissement,
  • Maitrisez votre effet de levier,
  • Placez un stop-loss,
  • Tenez vous au plan initial.

Ces quatre conseils sont peut être évidents pour vous. Mais je suis sûr qu’à un moment ou un autre, vous avez commis au moins l’une de ces erreurs.

Personnellement à mes débuts en bourse, j’avais tendance à moyenner à la baisse certaine position perdante, alors que les fondamentaux de l’entreprise ne cessait de se dégrader.

N’hésitez pas à me partager dans les commentaires, vos pires erreurs en bourse.

NB : l’illustration de cet article est tirée de l’excellent film sur la vie de Kerviel : l’outsider.

NB2 : Si vous êtes intéressé par le détail de cette affaire, je vous conseille de lire le rapport d’audit de la Société Générale.

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  1. Merci pour cette piqure de rappelle !

    Ma plus grosse perte en bourse, je la dois à un moyennage à la baisse sur Alcatel après l’éclatement de la bulle internet (ça ne me rajeunit pas).

    1. Bonjour Geronimo,
      Alcatel est un cas d’école concernant le moyennage à la baisse.
      Le cours est passé de 100€ à moins de 1€, j’espère que vous n’avez pas perdu trop d’argent dans cette histoire.
      Alexandre

  2. MERCI pour cet excellent descriptif des opérations de Kerviel.

    Elle m’économise la lecture, toujours en attente, de son bouquin.

    Surtout si vous m’expliquez comment elles ont été possibles.

    Car on hallucine !

    Comment croire qu’il n’y avait aucun back office pour contrôler ses opérations alors que celles du plus petit compte titres de particulier le sont tous les soirs ?!!!

    Comment un market maker dont la fonction première, pour répondre à toute demande, est de créer une box destinée par construction à neutraliser son risque (certes pas offre par offre mais revient au même au niveau consolidation du carnet) peut spieler ?!!!

    Et, pire encore, rester en position, overnight donc, pendants des jours et des jours, semaines…

    Surtout pour de tels montants et sans que PERSONNE ne s’en aperçoive ???

    C’est tellement, tellement… invraisemblable que je n’arrive pas à décrocher de mon hypothèse du jour de l’annonce.

    Celle d’un méga-coup fourré avec aval de la banque au top niveau.

    Soit du type tentative de prise de contrôle d’une proie (à la mode Posrche / VW) qui ayant mal tournée lui a été imputée.

    Soit d’une manipulation consistant à faire de l’arbitrage sur son dos (genre on le laisse spieler sur un indice et on se met en face sur un autre et on déboucle quand le spread est gagnant ou… si plus tenable par accident et alors collé sur son paletot de lampiste !

    Soit encore, sur le même modèle, la génération d’une pelle volontaire compensée… ailleurs (offshore* ?).

    * Règlement devenu impossible à payer autrement depuis que les ricains nous font la vie dure sur les rétrocommissions, financement d’une opération de nos « services » ne pouvant entrer dans aucune ligne budgétaire, etc.

    1. L’affaire Kerviel est fascinante, mais malheureusement nous n’aurons jamais le fin mot…

      J’ai eu l’occasion de discuter avec des assistants traders qui officiaient à la SG en 2007-2008.
      Il faut savoir qu’un trader à la SG à cette époque était considéré comme un demi Dieu.
      Leur parole était d’or et même si le Middle/Back Office savait qu’un justificatif était bidon, il ne pouvait pas challenger un trader…

      Cette crise a profondément remodelé l’organisation de la SG (contrôle interne, procédure RH, organisation du business, etc.).
      La BFI qui faisait la gloire de la SG est aujourd’hui de moins en moins rentable.

  3. Super article, effectivement on a un peu tous les ingrédients d’un cocktail détonnant : pas de stop, levier, moyenner à la baisse…

    Après sur ce dernier point, il convient de relativiser : tout dépend de l’actif et de l’horizon de placement : moyenner à la baisse sur une biotech qui risque de disparaitre est une SUPER MAUVAISE IDEE.

    Moyenner à la baisse sur un ETF SP500 ou Nasdaq pour profiter des replis en revanche… ça revient à faire du dollar cost averaging en somme.

    1. Merci Capitaine,

      Il faut faire attention à l’actif que l’on moyenne à la baisse. En apparence, Renault est une société solide.
      En 2018, l’action du constructeur s’échangeait à 90€ (avec un faible PER, de mémoire).
      Au mois de février 2020, juste avant le Covid, l’action cotait 30€ et aujourd’hui, seulement 18€… Dur pour l’investisseur long terme, buy and hold, qui a moyenné à la baisse.

      Moyenner à la baisse un indice, sans levier, peut avoir du sens (investissement totalement passif).
      Mais il y a mieux à faire, si on s’intéresse et se passionne un peu aux marchés financiers.

      Alexandre

      1. On est d’accord, je disais juste que moyenner à la baisse sur quelque chose de fondamentalement haussier sur le très très long terme comme un indice n’était pas forcément une mauvaise idée,

        Histoire que le débutant qui nous lit n’ancre pas à mauvais escient dans son esprit qu’il est interdit de le faire 🙂

  4. Merci pour cet article très intéressant. Concernant le fait de moyenner à la baisse ce qui est surtout dangereux c’est d’en faire une règle systématique (en gros dès que ça baisse forcément je moyenne ma position) et pire encore de pas accepter de couper une position en perte (parce qu’on s’est trompé, parce que la situation de l’entreprise a changé). Mais le marché par son côté irrationnel offre souvent de très bonnes opportunités qui permettent de se renforcer à bas prix (et donc de moyenner) sur de beaux titres (surréaction à une news, déprime générale) et qui sont l’occasion de moyenner pour de bonnes raisons 🙂

    1. Merci pour votre commentaire.

      Oui, certains moyennages ont du sens. Pendant la crise du Covid, j’ai acheté à plusieurs reprises des actions Total. La société est en bonne santé et j’avais des limites (de moyennage) clairement définies à l’avance: investissement de X€ maximum.
      Le piège est de moyenner systématiquement à chaque baisse et de se retrouver avec une position démesurée.

      Alexandre

  5. Allez ça prends 2mn mais moi aussi je tiens à vous remercier.

    Entre piqure de rappel et récit digne d’un documentaire A+ .. on lit jusqu’au bout avec plaisir !

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